L’incroyable métamorphose de cette simple résidence de déjeuner en un complexe hôtelier élégant est racontée, au sein de l’établissement, à travers de nombreux clichés d’époque. Un voyage étourdissant dans la Belle Époque. Le restaurant d’origine est toujours présent (devenu un étoilé Michelin avec vue sur mer, nommé Restaurant des Rois), ainsi que le bassin de poissons et crustacés, aujourd’hui transformé en un petit port privé de l’hôtel. Et dire qu’en 1880 - des photos l’attestent - cette réserve n’était qu’un modeste édifice, bâti sur un récif, à fleur de vague, dans un hameau qui ne comptait guère, à l’époque, plus de 400 habitants, et ne possédait ni eau courante, ni gaz, ni électricité.
Mais la Côte d’Azur devenant, au début de la Belle Époque, "the place to be seen" (l’endroit pour être vu), la réserve bénéficia très vite de la notoriété de la "French Riviera". Son nom résonnait dans toutes les cours d’Europe. Le roi belge Léopold II (qui offrit des palmiers, encore visibles à l’entrée de l’hôtel) ne jura plus que par Beaulieu, mais aussi le king anglais Edouard VII, l’impératrice d’Autriche-Hongrie Sissi (venue en 1896 et 1897), ou encore l’impératrice de Russie Alexandra Feodorovna.
A côté de ces têtes couronnées afflua également une aristocratie de la finance, des arts, des lettres et de la politique. On y vit, par exemple, Gustave Eiffel à des soirées arrosées au champagne (il avait acheté un bien immobilier à Beaulieu pour sa fille et son gendre), mais aussi la Belle Otero, sulfureuse danseuse espagnole installée sur la Côte d’Azur, une croqueuse d’amants qui faisait dilapider des sommes folles au casino de Monte-Carlo. Oui, on s’amusait à la réserve, comme sur toute la Côte d’Azur.
Et si l’établissement parvint à se moderniser, ce fut grâce à l’intervention d’un habitué excentrique : un buveur sans mesure prénommé Gordon Bennet (l’actuel bar de l’établissement porte son nom, et on peut y voir son portrait trôné devant la maquette d’un de ses trois bateaux). Ce new-yorkais, propriétaire du journal New York Herald, créa, entre 1890 et 1991, un "oyster bar" (bar à huîtres) largement approvisionné en "american drinks" et dota l’établissement du premier poste téléphonique à Beaulieu. Mieux, il lança un service de "mail coaches" (malles postales) conduisant directement les clients de la place Masséna, à Nice, à la porte du restaurant.
A l’apogée de la Belle Époque, la réserve de Beaulieu connut ainsi un prestige international. Avec ses joies… et ses excentricités. Gordon Bennet n’échappa d’ailleurs pas à la règle. Homme à femmes et noceur invétéré, il fut répudié par sa famille après un scandale survenu lors de ses fiançailles avec une demoiselle de la haute société américaine. Arrivé ivre et en retard à ses noces, il s’excusa en urinant dans la cheminée du salon, devant tous les invités… Shocking ! Avec ou sans Gordon Bennet, Pierre Lottier et ses deux fils, prirent avec succès le virage touristique hivernal du littoral en ajoutant, au restaurant, une partie hôtel composée d’une dizaine de chambres. La Réserve de Beaulieu que l’on connaît aujourd’hui était née.
Mais la première guerre mondiale mit un terme à l’insouciante Belle Époque, et imposa une fermeture aux villas et hôtels destinés à une clientèle riche et cosmopolite. Rouverte en 1917 - avec une clientèle plus restreinte - la Réserve accompagna la promotion faite autour des sports de plein air et des bains de mer, mise en place au lendemain du premier conflit mondial. Si la Réserve perdit en route ses monarques, le souvenir de cette Belle Époque, lui, y reste toujours vivace.
La Réserve de Beaulieu, 5 boulevard du Maréchal Leclerc - 06310 Beaulieu-sur-Mer
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