L'HOMME QUI CONSTRUISAIT DES AéROPORTS : à LA CITé DE L'ARCHITECTURE, UNE RICHE EXPOSITION RETRACE LE PARCOURS DE PAUL ANDREU

Il a dessiné des dizaines d'aéroports à travers le monde. Une exposition richement documentée retrace le parcours de l’architecte Paul Andreu, qui imagina notamment le spectaculaire disque de béton du terminal 1 de Roissy.

Alignés sur la couverture du livre, les mots sonnent presque comme une confession : "J'ai fait beaucoup d’aérogares…" Est-ce une fierté ? Ou, au contraire, l’expression d’un regret d’avoir été, souvent, cantonné au même type de projet architectural ? En avril 1998, l’architecte Paul Andreu (1938-2018) choisit ce titre pour baptiser un ouvrage dans lequel il rassemble une série de textes qui décryptent sa démarche de créateur.

L’homme a participé à de nombreux projets qui n'impliquent pas des avions, comme le Musée maritime d’Osaka, le terminal du tunnel sous la Manche, le tremplin du saut à ski pour les Jeux Olympiques de 1992 ou la finalisation de la Grande Arche de la Défense (d’après les plans de son architecte initial Otto von Spreckelsen). Mais le nom de Paul Andreu reste indissociable de l’histoire de la construction des aéroports. On doit au bâtisseur pas moins d’une quarantaine d’aérogares, de Paris-Charles-de-Gaulle au Caire, de Djakarta à Abu Dhabi, d’Osaka à Nice.

L'aérogare 1 de Roissy-Charles de-Gaulle (1967-1974), depuis la voie d'accès principale ADP/Paul Andreu - Adagp, Paris 2024

280 œuvres réunies

Suite à la donation de 69 carnets de croquis et d’archives, la Cité de l’architecture et du patrimoine lui consacre ce printemps une première rétrospective. Riche de 280 œuvres originales (maquettes, photos, vidéos, éléments de mobilier, textes), cette exposition passionnante retrace aussi, à travers l’itinéraire de l'architecte, la transformation d’une époque, celle de l’après-guerre et de la modernité, marquée par les développements du trafic aérien et de l’industrie aéronautique. Elle illustre aussi la pensée d’un homme à la double casquette – architecte, Paul Andreu fut aussi ingénieur, diplômé de l’École des ponts et chaussées – qui voyait dans l’aéroport plus qu'une infrastructure fonctionnelle, un véritable lieu de vie.

Un aéroport en forme de roue de bicyclette

"Paul Andreu rejoint l’établissement public Aéroport de Paris en 1963 et restera près de quarante ans au sein de la compagnie, rappelle en introduction Diane Aymard, architecte, historienne de l’architecture et commissaire de l’exposition. En 1967, on lui confie la charge du futur aéroport de Roissy, qu’on appelle encore Paris Nord à l’époque."

Seule consigne donnée au jeune architecte : imaginer un terminal de forme circulaire. Paul Andreu s’inspire pour cela des aéroports américains contemporains, comme Tampa ou Houston. À la façade linéaire et transparente de l’aéroport d’Orly, ouvert en 1961, il oppose un disque de béton de 190 mètres de diamètre. Le dessin lui vaudra les surnoms de “roue de bicyclette” et même, pays du fromage oblige, de camembert.

"Paul Andreu imagine une structure avec un corps central et des satellites d'embarquement tout autour, poursuit Diane Aymard. Ce principe permet de raccourcir les temps de trajet du voyageur entre le moment où il se gare et le moment où il va prendre son avion. L'édifice repose sur la tension spatiale à la fois centripète et centrifuge : l'idée est de concentrer les voyageurs dans un premier temps, puis de les disperser via des tunnels qui rejoignent les satellites d’embarquement."

À ce principe innovant, Paul Andreu ajoute une démarche inédite. L' "Aéroport de Paris va commander à la Compagnie française des économistes et psychosociologues un rapport sur les fantasmes liés au voyage, explique Diane Aymard. Cette étude va révéler une sorte d’ambivalence : le voyage implique à la fois la crainte de la perte, de la séparation, mais renvoie aussi à un élargissement de soi, au rêve, au cosmos. Paul Andreu va reprendre ces conclusions et, souvent, les assimiler au mythe d'Icare, où la perte de la chute cohabite avec le rêve de l’envol."

Aérogare 1 de Roissy Charles de Gaulle (1967-1974), vide central depuis un tube Donation Gilles Ehrmann, ministère de la Culture, Médoathèque du patrimoine et de la photographie-RMN-GP/ Adagp, Paris 2024

L’architecte constitue alors un groupe de travail pluridisciplinaire pour réfléchir à un aménagement de l'aérogare qui pourra rassurer le voyageur et le guider dans ses déplacements. L’équipe réunit le designer Joseph-André Motte (que tous les Parisiens connaissent sans le savoir puisqu’on lui doit les chaises-coques en métal émaillé qui égayent les quais des stations de métro), le typographe Adrian Frutiger (inventeur de polices de caractères mondialement célèbres, dont la Metro, qui fut longtemps utilisée pour la signalétique du métro parisien), le coloriste Jacques Fillacier, le sociologue Bernard Patarin ou encore le sculpteur Antoniucci Volti.

"Paul Andreu, poursuit Diane Aymard, disait que l’architecture est la poésie des espaces habités. L'architecture est donc à la fois un geste de création et un lieu où l’on vit. L’aéroport ne doit pas seulement être un lieu de passage, mais un endroit où l’on doit se sentir bien, où l’on peut rester."

L’équipe se réunit tous les jeudis pour partager ses avancées. De ces réflexions vont découler un ensemble de décisions : choix de couleurs et de typographies favorisant la lisibilité des espaces, conception de mobilier confortable invitant les voyageurs à faire une pause... Le décor est soigné pour offrir aux visiteurs une expérience globale : Antoniucci Volti réalise notamment des bas-reliefs sur les parois extérieures du terminal.

Antoniucci Volti devant l'un des reliefs de l'aérogare 1 de Roissy-Charles-de-Gaulle (1967-1974) ADP/Paul Andreu - Adagp, Paris 2024

Une architecture du mouvement

Paul Andreu, pourtant, ne se contente pas d'imaginer des bâtiments confortables. Il articule aussi sa réflexion autour de la question du mouvement. L’aéroport est pour l’architecte une machine à voyager, au sein de laquelle, déjà, les déplacements doivent être mis en scène.

À Roissy, chaque niveau de l’aérogare est relié, via des escalators vitrés, au vide central, promesse du ciel et de l’envol à venir. Les passagers doivent en outre emprunter de longs tunnels sous les pistes pour rejoindre des salles d’embarquement baignées de lumière.

Cet intérêt pour le passage de l’ombre à la lumière irrigue d’autres projets de l’architecte, qui réalise par exemple la transition entre les niveaux souterrains des transports en commun et le cratère de la Grande Arche de la Défense. Au Musée maritime d’Osaka, les visiteurs doivent passer par un long tunnel sous-marin pour rejoindre la sphère de verre.

Le Musée maritime d'Osaka, dit "Sea Sphere", Japon (1992-2000) Shinkenchiku-sha- Adagp, Paris 2024

Une carrière en Asie

Après le premier choc pétrolier, Aéroport de Paris s'oriente vers l'international et multiplie les projets d'équipements dans les pays en voie de développement. L'occasion pour Paul Andreu de rompre avec la modernité affichée à Roissy.

Pour l'aéroport d'Abu Dhabi, l'architecte s'inspire d'une caverne et imagine une voûte couverte de céramique verte et bleue. En Tanzanie, il aligne des poteaux-champignons qui agencent une étonnante forêt de béton armé. À Jakarta enfin, il trouve l'inspiration dans la forme des villages indonésiens et conçoit une aérogare dont les satellites sont reliés par des galeries couvertes de toits en tuiles rouges.

Aéroport international Soekarno-Hatta de Jakarta, Indonésie. Planche d'un livret Aéroport de Paris paru en 1987. ADP/Paul Andreu - Adagp, Paris 2024

Dans les années 1980 et 1990, l'architecte impose sa marque en Asie et notamment sur le marché chinois. À Sanya d'une part, où il réalise une réplique de l'aéroport de Nice. À Shanghai ensuite, où il dessine un aéroport international tout de verre et d'acier, dont les lignes s'inspirent des ailes d'un oiseau en vol.

Riche en succès, l'histoire de Paul Andreu n'a pourtant pas connu que des chapitres heureux. En 1988, au Japon, l'architecte se fait voler la vedette par Renzo Piano. Ce dernier remporte le concours pour la construction de l'aéroport du Kansaï. Un ouvrage spectaculaire, conçu sur une île artificielle dans la baie d'Osaka…

Exposition "Paul Andreu, l’architecture est un art" jusqu’au 2 juin à la Cité de l’architecture et du patrimoine, 1 place du Trocadéro et du 11 novembre, 75 016 Paris.

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