«LA PLACE DE LA CONTRESCARPE, éNIèME SYMBOLE DES INCOHéRENCES DE LA VéGéTALISATION à PARIS»

Dominique Dupré-Henry et Tangui Le Dantec sont architectes et cofondateurs du collectif Aux arbres citoyens.

Avec les beaux jours, c’est à une triste répétition qu’ont assistée les Parisiens. Ils ont découvert, stupéfaits, le nouvel aspect de la célèbre place de la Contrescarpe (5e arrondissement), totalement dévastée après l’abattage soudain de ses arbres. Lors de l’été 2023, deux lieux iconiques de Paris - la place Terzieff (rue Vavin) et la place Furstemberg (6e arrondissement) - avaient déjà été défigurés par des abattages précipités d’arbres remarquables. Cela avait suscité de très vives réactions, y compris dans les médias étrangers. Il semble bien, malheureusement, qu’aucune leçon n’ait été tirée de ces échecs passés.

Pendant des années, la place de la Contrescarpe a offert l’image réjouissante, dans un quartier minéral et touristique, d’une charmante place, ornée d’une fontaine en son centre, entourée de petits buissons et haies taillés, à l’ombre de quatre grands paulownias et bordée de terrasses de cafés. Plantations et fontaine étaient alors protégées par des grilles, permettant de profiter de la fraîcheur et de l’agrément de la place tout en préservant sa végétation. En 2016, cette place très parisienne fut réaménagée et prétendument «végétalisée» : retrait des grilles permettant une totale accessibilité, strate basse végétale éliminée et remplacée par des pavés, quelques fleurs aux pieds des arbres... Une image «bucolique» de prairie totalement déconnectée du contexte urbain. Le paradoxe est que ce projet de «végétalisation» aura en réalité minéralisé la place et perturbé la croissance des arbres. Avec la disparition de la végétation, loin de l’image trompeuse de présentation du projet, elle a perdu beaucoup de ce qui faisait son charme.

Autre problème, le sol aux pieds des arbres a été investi par les rats. Les trous de galeries sont visibles de loin, preuve flagrante d’un grave déficit d’entretien. Les déchets s’accumulent dans ces lieux touristiques où sont généralement implantés des paulownias (pour leurs qualités ornementales) faute d’une politique de nettoyage rigoureuse de la mairie. Sur la place, les poubelles qui débordent et les déchets jonchant le sol ont attiré les rongeurs dont la capitale est infestée. Paris est une des dix villes au monde les plus touchées par ce fléau, comme le rappelle l’Académie de médecine. Ces galeries ont alors permis à des agents pathogènes d’attaquer les plantes et menacé la stabilité des paulownias, très vulnérables du fait de l’extrême légèreté du bois dont ils sont constitués. Ce réaménagement est donc probablement à l’origine du déclin puis de la mort de ces beaux arbres, qui furent remplacés en 2022 par de petits sujets.

Des problèmes identiques avaient déjà été constatés place Terzieff et place Furstemberg où des réaménagements inadaptés et un manque d’entretien avaient, là aussi, mis en péril les plus anciens paulownias de Paris qui finirent par être condamnés. Début mars, les arbres de la place de la Contrescarpe ont donc été abattus, y compris celui qui avait été replanté récemment. De quoi susciter l’indignation de nombreux Parisiens et de la maire du 5e arrondissement, Florence Berthout, qui s’est interrogée sur l’incohérence de la gestion des arbres à Paris. D’autant que, peu avant, comme l’explique l’élue, des arbres plantés en mai 2024 rue Claude Bernard, sitôt morts, ont été replantés en décembre, puis abattus en janvier 2025… Elle a qualifié cette regrettable erreur de «massacre à la tronçonneuse».

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Par ailleurs, la rue Mouffetard, qui longe la place, subit elle aussi des travaux de réaménagement pour la transformer en une «rue-jardin» qui est loin de faire l’unanimité chez les riverains. Ce quartier, à l’identité bien particulière, auparavant extrêmement agréable et apprécié, offre aujourd’hui une image de lieu dégradé par une forte fréquentation touristique, des aménagements chaotiques sans vision d’ensemble et un entretien qui n’est pas à la hauteur. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est à craindre que les paulownias de la place de l’Estrapade toute proche, devenue célèbre dans le monde entier après le tournage de la série Emily in Paris , ne subissent le même sort, portant un nouveau coup fatal à l’image de Paris. Lorsque viendra le moment d’abattre les arbres, ce qui pourrait arriver très vite, l’indignation risque d’être internationale, comme pour la légendaire glycine centenaire de Montmartre, victime d’une tragique erreur. Faudra-t-il que toutes les plus charmantes places du centre de Paris subissent ce funeste destin pour que la Ville prenne enfin conscience du problème de la maltraitance des arbres existants ? Contrairement à ce que la communication municipale laisse entendre, les plantations sur les talus du périphérique et autres «forêts urbaines» ne seront jamais en mesure de compenser la beauté perdue à la suite de ce nouveau désastre urbain et environnemental.

2025-03-11T15:21:36Z