PARC NATIONAL D’ACADIA : LA PROMESSE DE VOIR L'AUBE EN PREMIER

Littoral sauvage, montagnes boisées, lacs cristallins... À quelques heures de route de Boston, ce parc, situé sur une partie du territoire ancestral de la confédération amérindienne wabanakie, est l'une des premières régions du pays à voir le lever du soleil.

En ce matin d'octobre, des silhouettes se blottissent dans des couvertures au sommet du mont Cadillac (466 m), point culminant de l’île des Monts Déserts, au large de la côte du Maine. En silence, elles attendent le lever du soleil, car chaque année, entre le 7 octobre et le 6 mars, cette montagne est le premier lieu des État-Unis à être éclairé par la lueur du jour. Un spectacle si prisé qu’on ne peut s’y rendre que muni d’une réservation ! Alors que les visiteurs grelottent sur la roche froide et humide, les premiers rayons percent enfin la nuit, léchant les blocs de granite rosé et illuminant les îlots boisés qui parsèment la baie, ouverte sur l’Atlantique.

Ce lever du jour a donné son nom aux peuples qui vivaient sur ces terres bien avant l’arrivée des colons européens au début du XVIIe siècle : Wabanakis, les "peuples de la terre de l’aube" en langue algonquienne. Ces Indiens, des Abénaquis, des Micmacs, des Pentagouets, des Passamaquoddys et des Malécites, qui habitaient de vastes territoires du nord-est des États-Unis et du Canada, pagayaient d’île en île à bord de canoës faits d’écorce de bouleau et campaient le long des bras de mer pour chasser, pêcher, cueillir, faire du troc… Et cela depuis la nuit des temps, selon leurs légendes – douze mille ans selon les archéologues.

Le parc national d’Acadia, établi en 1919, protège la plus grande partie de l’île des Monts Déserts – nommée ainsi par l’explorateur français Samuel de Champlain en raison de l’immense amas de blocs de granite rosé qu’il aperçut avant d’aborder ce rivage en 1604. À quatre heures et demie de route au nord de Boston, c’est le seul parc national du nord-est des État-Unis. La fierté du Maine.

Dans le top 10 des parcs les plus populaires du pays, avec quatre millions de visiteurs par an, il reste toutefois méconnu des étrangers. Ses 200 kilomètres carrés comprennent aussi l’Isle au Haut, accessible en ferry depuis Stonington, et la péninsule de Schoodic, où les criques aux senteurs d’écume et de conifères offrent un panorama spectaculaire sur Frenchman Bay. Après la colonisation de l’Amérique, l’accès des Wabanakis à cette partie de leur territoire traditionnel fut entravé, d’abord lors des guerres coloniales des XVIIe et XVIIIe siècles entre Français et Britanniques luttant pour le contrôle de la région, puis, à partir du XIXe siècle, par les citadins de passage voyant d’un mauvais œil les campements que les Amérindiens installaient selon les saisons, pour pêcher, cueillir, chasser…

Cueillir le mystérieux "foin d’odeur" est à nouveau autorisé

Mais aujourd’hui, le parc tente de renouer avec la culture wabanakie en associant davantage les tribus à l’intendance du parc et la préservation de ses ressources. Et certaines de leurs traditions y ont fait leur retour. Comme chaque fin d’été, dans les marais salés de Bass Harbor, dans le sud de l’île des Monts Déserts, Mosqun et Alamossit, 10 et 6 ans, marchent dans les pas d’Uhkomi, leur grand-mère. Elles cherchent une longue plante herbacée sauvage au rhizome violacé et aux senteurs de vanille. Les fillettes sont si concentrées qu’elles en oublient la moiteur ambiante et le bourdonnement des moustiques. Leur mission : reconnaître, parmi les tiges étincelantes qui dansent avec le vent, le vert émeraude du welimahaskil, le "foin d’odeur" – Hierochloe odorata de son nom savant – que les Wabanakis récoltent une fois par an pour le tresser en paniers ou s’en servir comme plante cérémoniale.

"Souvenez-vous, nous ne cueillons jamais la première tige que nous trouvons, rappelle la grand-mère aux fillettes. Si nous ne prenons pas la première, nous ne prendrons pas non plus la dernière." Cette cueillette, interdite pendant près d’un siècle par les règlements fédéraux protégeant les plantes des parcs nationaux, est de nouveau autorisée depuis 2015, tant qu’elle n’a pas d’effets délétères sur la nature. Aucun risque, a conclu Suzanne Greenlaw. En 2016, cette chercheuse de la tribu des Malécites, spécialiste de la gestion des ressources forestières à l’université du Maine, a suivi une quinzaine de familles du coin avec une biologiste du ministère de l’Agriculture, pour étudier cette pratique. Son constat : la récolte artisanale stimule la repousse de l’herbe sauvage, favorisant le développement de nouvelles pousses plus denses. "Les Wabanakis le savaient depuis des générations, commente la chercheuse. Mais il fallait le prouver pour éviter que cette pratique ne soit à nouveau interdite."

Sous les coquillages, des vestiges millénaires

Suzanne vit à Orono, à une heure de route au nord d’Acadia. Sa maison de plain-pied est entourée de fleurs sauvages et emplie d’effluves du fameux foin d’odeur que son mari, artiste vannier issu de la tribu des Passamaquoddys, fait sécher pour le tresser en de délicats paniers. "Cette récolte est une tradition très importante pour nous, poursuit-elle. En utilisant cette plante dans la confection de paniers, nos ancêtres ont réussi à préserver notre identité culturelle tout en assurant leur survie économique."

Sur la péninsule de Schoodic – la seule partie d’Acadia située sur le continent – Rebecca Cole-Will, chargée de la préservation des ressources du parc, arpente la rive caillouteuse d’une crique. Un emplacement qu’elle souhaite garder secret, afin de le préserver. Car ici, en 1978, elle a participé à des fouilles archéologiques qui ont mis au jour les vestiges millénaires de campements wabanakis – dont des outils particulièrement bien conservés, entassés sous des amas de coquillages. "C’était une autre époque, dit-elle. On ne se demandait pas s’il convenait de fouiller ces sites, ou s’il nous appartenait de le faire. On n’avait même pas à l’esprit que les Wabanakis ne sont pas des peuples du passé, mais des tribus du présent, dont la culture est encore bien vivante."

"Pouvoir admirer la beauté de ce patrimoine"

Les choses ont évolué : un décret présidentiel de Bill Clinton en 2000 et un mémorandum de Barack Obama en 2009 ont rappelé l’obligation, jusque-là rarement respectée, de consulter les tribus indiennes avant toute intervention sur leur patrimoine. Rebecca Cole-Will travaille ainsi main dans la main avec Bonnie Newsom, archéologue chercheuse à l’université du Maine (et elle-même issue de la tribu des Pentagouets), pour réévaluer la collection archéologique du parc et y intégrer les langues algonquiennes. Bonnie raconte le jour où elle a été autorisée, en 2020, à consulter les archives d’Acadia contenant les vestiges de campements wabanakis mis au jour en 1978.

En découvrant, dans des boîtes poussiéreuses, la précieuse collection d’outils et d’objets cérémoniels taillés dans de la pierre ou des ossements d’animaux, elle a été prise d’un sentiment doux-amer. "C’était un immense privilège, dit-elle. Et en même temps, ça m’a brisé le cœur, car mes stagiaires et moi étions les premiers Wabanakis à poser les yeux sur ces objets depuis qu’ils avaient été laissés là par nos ancêtres. D’autres avant nous auraient dû pouvoir admirer la beauté de ce patrimoine."

"Là où on rassemble les palourdes"

La culture wabanakie est désormais mise en lumière à l’Abbe Museum, au cœur de la ville balnéaire de Bar Harbor, près de l’entrée principale du parc. On y découvre paniers, vêtements de cérémonie, outils et canoës, que des aînés viennent parfois bénir. On y trouve aussi une salle vide, consacrée à la transmission orale. Les visiteurs s’y regroupent autour d’un tambour pour écouter des récits wabanakis – qu’ils en comprennent ou non la langue. En gagnant Bar Island, coiffée de pins et de bouleaux, par le banc de galets qui se révèle à marée basse, on se prend à imaginer les Wabanakis remplir leurs paniers de coquillages en ce lieu qu’ils appelaient Moneskatik, "là où on rassemble les palourdes". En longeant les rives de l’étang Jordan, on est surpris par des cris : des plongeons huards, oiseaux migrateurs aux ailes tachetées considérés comme les messagers de Glooskap, le puissant personnage de la légende micmac qui aurait créé et façonné les paysages du monde.

C’est de l’écorce des frênes noirs alentour que seraient sortis les premiers hommes et les premières femmes, après que Glooskap eut fendu un tronc en y tirant une flèche. Ces premiers Wabanakis auraient alors fait une promesse à leur héros : ils protégeraient les créatures de la terre de l’aube et en deviendraient les gardiens.

Visiter le Parc national d'Acadia : les conseils de notre reporter

QUAND Y ALLER ?

Autour de la mi-octobre, quand les arbres du parc revêtent leurs couleurs d’automne. Les rangers signalent les meilleurs points de vue en temps réel.

BON À SAVOIR

De mai à octobre, il faut une réservation pour accéder au mont Cadillac en voiture. Un tiers de ces sésames est mis en vente 90 jours avant. Le reste, à deux jours de l’échéance. Se connecter sur recreation.gov dès 10 heures, heure locale, soit 16 heures en France, car tout part en quelques minutes !

À FAIRE

Apprendre à tresser un panier à la manière des Wabanakis, lors d’un des ateliers de l’Abbe Museum, à Bar Harbor.

➤ Article paru dans le magazine GEO n°542 d'avril 2024, Parcs américains, d'est en ouest, les pépites à découvrir, en kiosque à partir du 27 mars 2024.

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