ENQUêTE DANS CES MAISONS à L'HISTOIRE SAUGRENUE EN FRANCE

Une maison isolée en Islande

Vous avez souvent l'envie d'être seul au monde ? Votre rêve est (presque) réalisable et porte le nom d’Elliðaey, une île islandaise nichée dans l'Atlantique, au sud de l'archipel de Vestmann. Cet îlot rocheux de 4,5 kilomètres carrés est inhabité, à l'exception d'une population abondante de macareux, une espèce de pingouins qui y apprécient l'environnement marin et insulaire. N'abritant aucune âme humaine, Elliðaey est ainsi dénuée d'infrastructure en théorie… mais en réalité, on y trouve une unique maison, bâtie à flanc de falaise. Repérée par des voyageurs, elle est devenue renommée sur les réseaux sociaux comme « la maison la plus isolée du monde ». Est-ce vraiment le cas ? Difficile de le savoir. En tout cas, cette demeure suscite la fascination et donne même lieu à de fausses rumeurs.

« La maison la plus isolée du monde cache un terrible secret », peut-on lire sur certaines publications en ligne. Comme (très) souvent, les vidéos qui présentent la maison s'accompagnent de théories fantaisistes, à commencer par celle selon laquelle la chanteuse islandaise Björk y aurait habité, après l'avoir reçue en cadeau par l'État islandais, remerciant ainsi sa participation à la diffusion de culture du pays. Une histoire « inventée de toutes pièces », selon Paris Match, qui confirme que la chanteuse n'a jamais foulé le sol d'Elliðaey. Une autre rumeur assure que la maisonnette servirait de bunker à un milliardaire survivaliste en cas d'attaque de zombie. D'autres encore ont affirmé que la maison d'existait pas et qu'elle serait le fruit de photos retouchées.

En réalité, l'île accueillait des familles d'éleveurs de moutons jusqu'aux années 1930, avant d'être désertée pour la rudesse de ses conditions climatiques. Dans les années 1950, la fameuse maison blanche est bâtie en tant que relai de chasse pour les chasseurs de macareux. Cette tradition viking, qui semble peu à propos dans le contexte actuel de protection des animaux sauvages, risque de facto de disparaître, et la bâtisse avec.

Pour l'heure, le pavillon de chasse est toujours utilisé et les quelques visites vidéo qu'on trouve sur Internet montrent un intérieur rudimentaire, sans eau courante ni électricité… mais tout de même doté d'un sauna — la tradition scandinave avant tout – alimenté par l'eau de pluie recueillie. L'ensemble semble toutefois assez confortable, entièrement lambrissé, meublé, chauffé au poêle et aménagé de dortoirs sous les combles (sans doute pour héberger les chasseurs). Une terrasse en bois permet de profiter d'un barbecue avec une vue époustouflante sur le paysage extérieur, verdoyant et entouré par l'océan.

Un château aux mains d'escrocs

« Le propriétaire de ce château abandonné est mort dans le Titanic », peut-on lire sur plusieurs vidéos d'urbex publiées sur les réseaux sociaux (voir en fin d'article), affirmant que ce châtelain aurait délaissé sa demeure nivernaise, la Chasseigne, en 1912 après son décès dans le célèbre paquebot. Les images sont effectivement impressionnantes : un superbe édifice du XIXe siècle, doté de tours et d'escaliers d'apparat, entièrement meublé… Mais à y regarder de plus près, le mobilier paraît étrangement récent et particulièrement bien conservé en ayant survécu plus de 110 ans. « C'est complètement faux, confirme Nathan Guigand, passionné de patrimoine et auteur de plusieurs ouvrages sur le château de la Chasseigne. Je ne sais pas d'où provient cette information, je suis personnellement proche des descendants des anciens propriétaires, qui ne sont absolument pas morts dans le Titanic. » Intéressé par l'histoire de ce château, le jeune homme a mené de profondes recherches et retracé la généalogie des habitants depuis sa construction. Nous l'avons rencontré pour démêler le vrai du faux.

Située dans la forêt de Saint-Parize-le-Châtel, commune nivernaise à l'est de la Bourgogne, la propriété est entourée d'un parc de plusieurs hectares et tire son nom de la famille de la Chasseigne qui le fit bâtir au XVe siècle au cœur d'une enceinte fortifiée. De cette époque ne subsiste aujourd'hui que le porche, le reste n'ayant pas survécu à la rénovation du château par le comte Armand de Montrichard qui en hérite dans les années 1860. La bâtisse telle que nous la connaissons, construite dans un style néo-Renaissance, date ainsi du XIXe siècle. « L'intérieur a été remanié une dernière fois en 1902 par le petit-fils du comte, notamment le grand salon », précise Nathan Guigand. C'est à ce moment-là que les propriétaires le re-meublent avec des pièces chinées, mélangeant les époques et ajoutant de la modernité au mobilier d'origine, datant de 1860 — « où on a retrouvé des dessins d'enfants du XIXe siècle », relate Nathan Guigand. Le château est revendu en 2002, pour des raisons financières, à un couple d'Italiens désireux de le transformer en chambres d'hôtes luxueuses pour accueillir les spectateurs du circuit automobile de Nevers Magny-Cours.

Cependant, le projet hôtelier ne voit jamais le jour et la Chasseigne est finalement acquise par un couple d'Indonésiens pour environ 800 000 euros. « Des escrocs fiscaux qui n'y ont probablement jamais mis les pieds », explique Nathan Guigand. Ces acquéreurs auraient, en effet, acheté de nombreuses propriétés en Europe entre 2010 et 2020, notamment en Suisse et aux Pays-Bas, dont ce château nivernais. Apparemment injoignable, le couple se serait volatilisé en 2017, sans payer ses impôts, et fourni une fausse adresse correspondant à boîte aux lettres au milieu d'un champs à en croire Google Maps. « On ne sait pas où ils sont, ni même s'ils sont encore en vie », précise Nathan Guigand. Si la plupart de leurs biens européens ont été expropriés, la législation française ne permet pas de faire de même avec le château de la Chasseigne. Au grand regret de jeunes saint-parizois, qui se sont regroupés en association en 2020 pour tenter de le sauver.

Alarmés par les dégradations menées par des urbexeurs peu soucieux de sa conservation ou des voleurs ayant dérobé de nombreuses pièces de décoration et de mobilier, les membres de l'association (dont Nathan Guigand s'est désolidarisé depuis) ont monté une pétition en ligne pour appeler les autorités à agir. « Il ne reste presque plus qu'un meuble aujourd'hui, un vaisselier bleu qui n'est pas déménageable », regrette le jeune homme, dont l'ancienne association réclamait, pour pallier le problème, d'autoriser la revente du château aux enchères afin de recouvrir les dettes des propriétaires absents et ainsi le doter d'un nouvel acquéreur. L'association ambitionnait, même, une reconversion du château en coopérative d'habitation, en maison d'hôtes ou en espace communal (école, logements collectifs, musée…).

« Aujourd'hui, le château est dans un état très inquiétant, il faudrait un travail titanesque pour le restaurer. Des ouvertures ont été cassées, les toitures remontant au XIXe siècle sont en fin de vie… », rapporte Nathan Guigand, qui se désole de l'abandon de nombreux autres châteaux dans la Nièvre, malheureusement généralisé et suscitant l'indifférence des pouvoirs publics ; malgré l'interdiction théorique de pénétrer dans les lieux, une propriété privée. À cette indifférence, l'association a répondu en menant elle-même la surveillance du château pour dissuader les explorateurs nocturnes et le vandalisme, s'attirant les foudres de la mairie (qui la soutenait pourtant jusque là) et des forces de l'ordre. Nathan Guigand a, de son côté, retracé minutieusement l'histoire du château abandonné à travers trois ouvrages, comprenant une monographie, un dossier et un arbre généalogiques, espérant faire sortir la Chasseigne de l'oubli et rétablir la vérité sur son passé. Ce passionné de patrimoine vit lui-même dans un château situé à l'ouest de la France.

Une île bretonne et son unique maison

Entre l'île de Groix et la presqu'île de Quiberon, un tout petit îlot rocheux accueille une maison aux volets bleus. Emblème de la ria d'Étel, fleuve côtier du Morbihan en Bretagne, l'île du Nohic s'étend sur 380 mètres carrés de superficie et abrite la « Maison du gardien » depuis 1893. En 1892, un ostréiculteur local prénommé Stéphan crée son exploitation sur l'île de Nohic, qu'il gère jusqu'en 1935, avant de laisser place à plusieurs générations d'ostréiculteurs qui lui succèdent. La maison est construite en 1893 pour y loger le gardien responsable de l'entretien des parcs à huîtres et reste habitée jusqu'en 1955 ; à l'instar de plusieurs autres habitations construites dans la ria d'Étel à la fin du XIXe siècle, dont la plus célèbre, celle de Saint-Cado. La demeure se délite petit à petit, jusqu'à se voir réduite à l'état de ruine et laissée à l'abandon.

En 2013, une association de locaux animés par sa réhabilitation se forme et permet, avec le concours du mécénat d'entreprises et institutions, de la restaurer entièrement en 2017 : toiture en ardoise naturelle, façade en pierres locales, murs, charpente et ouvertures sont refaits par 300 bénévoles pendant six mois grâce aux plus de 200 000 euros accumulés. Elle apparaît, depuis, telle qu'elle était à l'origine. Aujourd'hui propriété du Conservatoire du littoral — après avoir appartenu à l'État —, elle est régulièrement entretenue (peinture, petites rénovations…) par l'association nommée d'après le nom du lieu, L'Île du Nohic. Le maire de Plouhinec, la commune à laquelle elle est rattachée, se réjouit qu'elle devienne ainsi le « témoin de l'histoire ostréicole ».

À l'intérieur, la maison de 42 mètres carrés se compose d'une unique pièce avec une cheminée. Berthe Prima, ancienne résidente octogénaire, témoigne auprès de Ouest France en 2017 : « Avec mes parents, nous avons été les derniers habitants de l'île. La maison comptait une seule pièce dans laquelle se trouvaient une table et deux bancs, une armoire et deux lits de coin. Sans eau courante ni électricité. » Y ayant grandi jusqu'à ses huit ans, entre 1935 et 1939, Berthe rapporte notamment au journal ses trajets en barque pour aller chercher le pain ou le lait. La doyenne de l'île a naturellement accueilli la nouvelle de sa rénovation avec émotion.

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